Apparu il y a seulement une quinzaine d’années, le smartphone est
devenu avec une incroyable rapidité un objet central de notre société.
Il suffit d’observer nos contemporains, dans la rue, dans le métro, au
restaurant, partout, pour se rendre compte de la place prépondérante
qu’il occupe. Selon les dernières statistiques de l’Insee, 77 % de la
population française âgée de 15 ans et plus en possèdent un. Ce
pourcentage atteint 92 % chez les 30-40 ans, et 94 % pour les 15-29 ans.
Signalons que ces statistiques portent sur l’année 2021 et que le taux
d’équipement étant en hausse constante, il est assurément encore plus
élevé aujourd’hui. Signalons aussi qu’il concerne des enfants de plus en
plus jeunes. Selon une étude Médiamétrie, ces derniers se voient offrir
leur premier smartphone, en moyenne, avant l’âge de 10 ans. Là encore,
ces statistiques datent de 2020 et tout porte à croire que cet âge moyen
a encore baissé.
Est-ce que chaque humain sera, d’ici quelques années, systématiquement relié au « grand tout » via un smartphone ?
Nous sommes un certain nombre à ne pas le souhaiter et à vivre sans
smartphone, pour de multiples raisons. Ce petit objet est un concentré
de pollutions industrielles. Il contient une cinquantaine de métaux
différents quasiment impossibles à recycler dont l’extraction crée des
situations dramatiques aux quatre coins du monde (1). Dans les usines de
smartphones chinoises, ouvriers et ouvrières sont soumis aux conditions
d’exploitation les plus extrêmes quand ils ne font pas l’objet de
travail forcé, comme les Ouïgours (2). Nous pensons qu’à l’heure où l’on
nous annonce des coupures d’électricité, l’énergie disponible ne doit
pas être accaparée par cet appareillage, ainsi que par la gigantesque
infrastructure nécessaire à son fonctionnement (antennes relais,
serveurs…). Nous affirmons que les ondes électromagnétiques liées à
cette technologie posent de sérieuses questions de santé publique.
Nous refusons d’être sollicités et pistés en permanence par des
sociétés privées, et que celles-ci s’emparent de l’un de nos biens les
plus précieux : notre attention. Nous constatons à quel point ce qui est
appelé « outil de communication » altère en réalité nos relations
sociales.
Le smartphone est si addictif qu’il a démultiplié les tensions et les
conflits dans les foyers. C’est le pire ennemi des parents qui doivent
se démener pour soustraire leurs enfants à ses mondes parallèles et
marchands.
Nous avons aussi découvert à travers la mise en place du « passe
sanitaire » l’utilisation qui pouvait être faite de cet objet, à savoir
gérer, de manière individualisée, le moindre de nos déplacements en nous
délivrant, ou non, l’autorisation de pénétrer dans tel ou tel lieu. Le
problème n’est pas ici de savoir si ce dispositif a permis de limiter la
propagation du virus. Ce que nous retenons, c’est que le smartphone
s’est révélé être une interface entre l’humain et l’administration
centrale, offrant à cette dernière un pouvoir inédit de surveillance et
de contrôle.
L’industrie et le gouvernement multiplient les décisions rendant cet
objet de plus en plus indispensable : disparition des cabines
téléphoniques, des guichets « humains » et même des bornes automatiques
dans les gares, envoi de codes pour réaliser un paiement en ligne, QR
codes à scanner dans les musées ou les restaurants, administrations de
plus en plus déshumanisées (« dématérialisées », selon le langage consacré…), etc. Au point de pousser la Défenseure des droits à lancer ce cri du cœur : « Il n’est pas possible d’imposer à tout le monde d’avoir un smartphone ! » (3)
Nous exigeons donc de l’État qu’il rétablisse les alternatives au
smartphone pour permettre à chaque citoyen d’accéder à ses droits et aux
biens communs sans y avoir recours. Nous revendiquons le droit de vivre
pleinement dans cette société sans pour autant être équipé de cette
prothèse incroyablement envahissante.
Parallèlement – et sans ignorer les contraintes, notamment
professionnelles, qui peuvent s’imposer à certain·es – nous appelons
celles et ceux qui le peuvent encore à abandonner au plus vite leur
smartphone.
« On croit fabriquer des automobiles, on fabrique une société »,
prévenait le philosophe Bernard Charbonneau en 1967. Aujourd’hui
plongés dans le modèle du « tout-bagnole », et alors que nous en
connaissons les ravages écologiques, nous constatons l’extrême
difficulté que nous avons à en sortir. En quinze ans, le smartphone ne
nous a rendus ni plus heureux, ni plus libres. Il a simplement augmenté
notre dépendance à des chaînes de production insoutenables et
démultiplié les profits de l’industrie du numérique. Un bilan aussi
désastreux appelle une réponse collective. C’est pourquoi nous appelons à
démanteler tant qu’il est encore temps la société du smartphone.